La construction de l'identité nationale au sein de la droite radicale espagnole : entre revendication axiologique du passé et cadrage stratégique d'une opposition peuple-élites


Michel-Philippe Robitaille, Université du Québec à Montréal

Jusqu’à récemment, la politique espagnole était vue comme une exception dans une Europe marquée par la montée de la droite radicale et du populisme. Aucune force politique s’inscrivant dans cette tradition n’y avait obtenu de succès à l’échelle nationale depuis la transition à la démocratie qui a suivi le décès du dictateur Francisco Franco. L’arrivée de Vox au Congrès des députés, en 2019, a mis un terme à cet exceptionnalisme espagnol. Au cours des cinq dernières années, ce parti populiste de droite radicale s’est enraciné dans la vie politique du pays au point de constituer un acteur incontournable à la formation de coalitions gouvernementales de droite. Cette communication vise à explorer la construction discursive de l’identité nationale opérée par Vox et qui a permis au parti de profiter de la structure des opportunités politiques qui est survenue dans l’Espagne de la fin des années 2010. Elle pose la question : quelles sont les valeurs sur lesquelles s’est appuyé Vox pour construire sa conception de l’identité nationale espagnole et de quelles façons le parti a-t-il concilié ces valeurs au sein d’une stratégie visant à faire sa place dans le système partisan du pays ? Pour répondre à cette question, je m’appuie sur des recherches en histoire des idées, en sociologie des mouvements sociaux et en sociologie du populisme et de la droite radicale. J’offre d’abord une lecture du contexte d’émergence de Vox pour montrer ce que les acteurs politiques à l’origine du parti et ses leaders actuels tentent de faire avec cette force politique. Je procède ensuite à une analyse du cadrage qu’opère le parti afin de profiter de la transformation de la structure des opportunités politiques avec l’effondrement du système bipartite qui avait caractérisé la scène politique espagnole pendant vingt ans. Ce cadrage consiste notamment à opposer la nation espagnole aux élites corrompues incarnées par les grands partis ayant exercé le pouvoir et les partis nationalistes basques et catalans. L’étude s’appuie en premier lieu sur les programmes électoraux et les positions officielles prises par le parti. Elle prend aussi en compte les discours publics et médiatiques mis de l’avant par les principales figures du parti, en premier lieu par son chef, Santiago Abascal. À travers cette analyse, je soutiens que Vox a été fondé par des militants animés de sincères sentiments nationalistes qui rejettent le nationalisme civique au cœur du discours des conservateurs du Partido Popular au profit d’un ancrage historique et culturel de la nation que le parti fait remonter au Moyen Âge. Cette revendication ferme de l’héritage historique national s’inscrit dans une lutte pour la primauté de l’identité espagnole face au défi sécessionniste catalan. La menace que supposerait ce dernier justifie, aux yeux des fondateurs de Vox, la formation d’un parti de droite radicale visant la rupture avec le cadre institutionnel établi, notamment sous la forme de l’organisation territoriale incarnée par ce qu’il est convenu d’appeler l’État des autonomies. Afin de devenir un acteur incontournable sur la scène politique espagnole et de porter ces valeurs nationalistes au Congrès des députés, le parti devait cependant mettre sur pied une stratégie discursive apte à le faire apparaître comme une alternative aux forces en présence. C’est ce qu’il a fait en opérant un cadrage populiste basé sur la division entre un peuple vertueux et des élites corrompues afin de revendiquer pour son propre compte le monopole de la représentation du peuple. Cette stratégie a donné des résultats significatifs dans le contexte d’une structure des opportunités marquée par la fragmentation du système partisan. Elle n’a toutefois pas été suffisante pour porter le parti au pouvoir à l’échelle nationale, mais Vox demeure à ce jour une force incontournable pour la formation d’un éventuel gouvernement dirigé par la droite. Les recherches présentées dans cette communication contribuent à alimenter empiriquement, à des fins de comparaison, les débats théoriques sur la montée et la transformation des droites radicales et populistes à l’époque contemporaine. Elles offrent un regard privilégié sur l’étroite relation qui lie les idées, les stratégies et les contextes politiques.

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