La pensée par la pratique : interférer pour interroger les espaces urbains « x-topiques »


Nicholas Hardy, University of Alberta

Nous proposons de réfléchir à la problématique de cette session en posant la question suivante comme point de départ: en quoi la recherche parmi les espaces sociaux « x-topiques » mène-t-elle au développement de nouvelles approches et de nouvelles manières de concevoir la socialité? À notre sens, ces nouvelles approches se situent par définition en écart aux normes de la sociologie. De cette optique, comment élaborer de nouvelles pratiques sociologiques à même d’interroger les diverses « x-topies » parmi les espaces sociaux sans que leur valeur ne soit mesurée selon les critères d’une sociologie qui tendent à délégitimer ces projets et à discipliner la pratique sociologique? Dans le contexte de la recherche doctorale, les difficultés posées par ces critères normatifs sont d’autant plus hasardeuses car elles risquent à la fois de dénaturer l’expression de la recherche (dans la mesure où elle est forcément en rupture avec les normes de la discipline) ou alors de miner la crédibilité de l’étudiant. Toutefois, il convient de remarquer que cette situation est contradictoire car elle mène la sociologie à effacer des pans entiers de son histoire intellectuelle (nous pouvons citer des auteurs aussi variés que Lefebvre, Debord, Castoriadis, ainsi que Reich, Bey et autres insoumis.es). Elle est aussi nuisible sur le plan épistémologique : le savoir étant un espace global de communication (Serres, 1968, 1972), afin de développer de la connaissance (plutôt que de l’information), la sociologie se doit de sortir de cette boucle intra-référentielle afin de soutenir un engagement réel avec le savoir, la société et le monde qui exigent, pour leur part, un recours à de multiples références, soit à une pratique hors-cadres. Nous proposons d’avancer le concept d’interférence (voir Serres 1972, 1980) comme pivot de notre approche envers l’activité théorique que nous nommons « la pensée par la pratique », afin de penser parmi les friches urbaines, que nous pourrions appeler « para-sites » ou « para-topies » étant donné leur rapport de tension vis-à-vis la production capitaliste de l’espace. Tel que le terme l’indique, les terrains vagues et autres espaces interstitiels sont des espaces intersubjectifs parallèles, c’est donc dire des espaces parallèles de socialité. La notion d’interférence définit des pratiques esthétiques d’intervention (dont l’art de rue) parmi ces para-sites comme partie intégrante de la production d’un savoir en accord avec le caractère in vivo de la vie sociale, certes plus attentif à l’émergence des singularités et des possibles parmi ces espaces. Dans le contexte actuel des milieux urbains (qui s’apparentent davantage aux villes dystopiques décrites par Alain Damasio dans Les furtifs ), il nous semble que la socialité est elle-même marginalisée, de sorte que les pratiques d’interférences sont de mise afin d’interroger les espaces interstitiels qui sont, selon nous, des refuges de la socialité (voir aussi Clément 2004). Ces pratiques soulèvent également la question méthodologique de la participation, à savoir : que signifie participer parmi ces espaces interstitiels? En somme, peut-on concevoir l’interstice ou la marge comme espace intellectuel, ouvert aux pratiques créatives, soit d’une « discipline de la désobéissance » selon l’expression heureuse de Graham (1978), afin de contribuer au développement de nouvelles pratiques sociologiques?

This paper will be presented at the following session: